Les déficits rares en facteurs de la coagulation
Chaque déficit en facteur de la coagulation doit être analysé séparément car ils ont tous leurs spécificités. Mais pour chacun d’eux, les personnes concernées devront avoir un suivi régulier avec un Centre de traitement spécialisé. L’éducation thérapeutique, c’est-à-dire un accompagnement personnalisé pour mieux vivre avec la maladie, est possible. L’Association française des hémophiles peut également vous accompagner pour toute question que vous pourriez vous poser en liaison étroite avec le réseau de santé.
Résumé
Les déficits rares en facteur de la coagulation sont des anomalies héréditaires de la coagulation qui surviennent quand un ou plusieurs facteurs de coagulation (facteurs I, II, V, V+VIII, VII, X, XI ou XIII) sont absents ou ne fonctionnent pas correctement. Même si la symptomatologie hémorragique est au premier plan, chaque déficit en facteur de la coagulation présente des caractéristiques biologiques et cliniques qui lui sont propres et qui doivent être considérées lors de la mise en place d’une stratégie thérapeutique.
Généralités
Il existe plusieurs facteurs de la coagulation souvent dénommés par un numéro parfois par un nom (facteurs I ou fibrinogène, II ou prothrombine, V, VII, VIII ou antihémophilique A, IX ou antihémophilique B, X, XI, XII, XIII). Les déficits rares en facteur de la coagulation rencontrés dans les maladies hémorragiques constitutionnelles sont des anomalies héréditaires qui surviennent quand un ou plusieurs de ces facteurs sont absents ou ne fonctionnent pas correctement. D’une manière générale et du fait de leur rareté, ces déficits sont souvent mal connus et insuffisamment diagnostiqués, ce qui peut occasionner un retard dans leur prise en charge. Bien que rares également les hémophilies A et B et les déficits en facteur von Willebrand ne sont pas inclus dans les déficits particulièrement rares en facteur de la coagulation et de ce fait ils ne sont pas décrits dans ce chapitre.
L’épidémiologie, c’est à dire ici la fréquence, des déficits rares en facteurs de la coagulation est peu connue (voir tableau 1). Leur transmission est habituellement autosomique récessive (les deux parents doivent être porteurs du gène défectueux pour pouvoir le transmettre) mais une transmission autosomique dominante du gène défectueux par un seul parent est possible pour certains déficits (par exemple, hypofibrinogénémie ou dysfibrinogénémie). Ces modes de transmission signifient que ces déficits peuvent être présents chez les femmes comme chez les hommes.
La symptomatologie, c’est à dire les signes hémorragiques sont variables et globalement corrélés avec le taux du facteur déficitaire. Toutefois, pour certains déficits (par exemple, le déficit en facteur XI) une telle corrélation n’est pas évidente (voir tableau 1). Certains déficits peuvent paradoxalement être associés à une augmentation du risque de thrombose (c’est à dire de caillot).
Le traitement consiste dans la mesure du possible à apporter au patient le facteur de coagulation déficitaire (Tableau 2). Ces concentrés de facteur de coagulation sont produits à partir de plasma humain et traités pour éliminer des virus tels que le VIH et ceux de l’hépatite B et C. Il existe aussi une préparation de facteur recombinant VIIa en laboratoire, sans recours au plasma humain. D’autres possibilités thérapeutiques existent comme l’administration de concentrés de complexe prothrombique (CCP) qui contiennent les facteurs II, VII, IX et X, ou l’administration de plasma frais congelé (PFC), de préférence viro-inactivé, qui contient tous les facteurs de la coagulation. On peut aussi utiliser des antifibrinolytiques comme l’acide tranexamique qui limitent le saignement en inhibant l’étape de la fibrinolyse (dissolution du caillot de fibrine). Ces médicaments sont utilisés en particulier lors de certaines situations cliniques spécifiques (par exemple, soins dentaires ou saignements menstruels excessifs). En cas de ménorragies, un traitement hormonal par contraception orale est proposé. Une hémostase locale à l’aide de colles doit être favorisée en cas de traumatisme ou d’intervention chirurgicale.
Tableau 1. Caractéristiques des déficits rares en facteur de la coagulation
Facteur manquant | Prévalence | Corrélation biologique et clinique | Mode de transmission |
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Fibrinogène:
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Facteur II | 1/2 000 000 | Forte | Autosomique récessif |
Facteur V | 1/1 000 000 | Faible | Autosomique récessif |
Déficit combiné des facteurs V et VIII | 1/1 000 000 | Forte | Autosomique récessif** |
Facteur VII | 1/500 000 | Faible | Autosomique récessif |
Facteur X | 1/1 000 000 | Forte | Autosomique récessif |
Facteur XI | 1/1 000 000 | Nulle | Récessif ou dominant |
Facteur XIII | 1/2 000 000 | Forte | Autosomique récessif |
Déficit combiné des facteurs vitamino-K dépendants | Non connue | Faible | Autosomique récessif |
* : données approximatives. Dans certaines régions où les mariages consanguins sont répandus ainsi que dans certaines populations, la prévalence est plus importante
** : dans des situations très rares, le déficit en facteur VIII peut être transmis séparément par un seul parent
Tableau 2. Traitements possibles de déficits rares en facteur de la coagulation
Facteur manquant | Traitements disponibles |
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Concentrés en fibrinogène Plasma frais congelé |
Facteur II | Concentrés de complexe prothrombique Plasma frais congelé |
Facteur V | Plasma frais congelé Concentrés plaquettaires |
Déficit combiné des facteurs V et VIII | Plasma frais congelé Desmopressine |
Facteur VII | Concentré en facteur VII ou VIIa recombinant Concentrés de complexe prothrombique Plasma frais congelé |
Facteur X | Concentrés de complexe prothrombique Plasma frais congelé |
Facteur XI | Concentrés en facteur XI Plasma frais congelé |
Facteur XIII | Concentré en facteur XIII Plasma frais congelé |
Déficit combiné des facteurs vitamino-K dépendants | Concentrés de complexe prothrombique Vitamine K Plasma frais congelé |
Déficit en fibrinogène
La symptomatologie est très hétérogène et dépend du sous-type d’anomalie du fibrinogène ainsi que du taux du fibrinogène. En cas d’afibrinogénémie (absence complète de fibrinogène), les saignements sont fréquents, souvent dès la naissance et parfois très graves comme les hémorragies du système nerveux central. Ces patients peuvent présenter aussi des retards de cicatrisation et des complications au niveau de la rate. Les patients souffrants d’hypofibrinogénémie (baisse du taux de fibrinogène) ne présentent habituellement pas de saignements spontanés mais plutôt des saignements secondaires à des traumatismes ou lors d’interventions chirurgicales. Chez les dysfibrinogénémies (fibrinogène présent en quantité suffisante mais anormal) les complications hémorragiques sont généralement légères, principalement au niveau des muqueuses, et de nombreux patients sont asymptomatiques. En cas d’afibrinogénémie et de certaines dysfibrinogénémies, les patients présentent un risque de thromboses veineuses ou artérielles. Le traitement en cas d’hémorragie ou de risque d’hémorragie consiste en l’administration d’un concentré en fibrinogène, en particulier en cas de grossesse chez les patientes afibrinogénémiques car celles-ci ne peuvent mener une grossesse à terme sans apport externe de fibrinogène.
Déficit en facteur II
Il s’agit d’un déficit très rare dû soit à une anomalie quantitative (baisse du taux de la prothrombine), soit à une anomalie qualitative (prothrombine en quantité suffisante mais anormale). La symptomatologie hémorragique est corrélée au taux du facteur II mais inhabituelle dans l’anomalie qualitative. Généralement les saignements surviennent au niveau des muqueuses ou dans les articulations, les hémorragies du système nerveux central étant rares. Les deux produits disponibles pour traiter le déficit en facteur II sont le Concentré de Complexe Prothrombinique (CCP) ou les Plasmas Frais Congelés (PFC).
Déficit en facteur V
Les symptômes hémorragiques sont généralement légers voire absents et affectent principalement les muqueuses (saignements du nez ou de bouche, ecchymoses). Toutefois des saignements du système nerveux central ont été observés et les déficits sévères peuvent se manifester dès la période néo-natale. En cas de complications hémorragiques, le traitement consiste à administrer du PFC. Un concentré contenant uniquement du facteur V a été développé et il pourrait être commercialisé prochainement. Les transfusions de concentrés plaquettaires, qui contiennent du facteur V, représentent une option dans certains cas.
Déficits combinés en facteur V et VIII
Cette anomalie de la coagulation résulte d’une baisse concomitante des facteurs V et VIII. Elle est due à un défaut du passage des facteurs V et VIII dans la circulation et non pas à un défaut de synthèse. Les symptômes hémorragiques sont généralement modérés et rarement spontanés. Le traitement consiste à administrer un concentré en facteur VIII ou du PFC (contenant à la fois le facteur VIII et le facteur V). La desmopressine est parfois une alternative. Cette hormone de synthèse induit une augmentation du taux de facteur VIII.
Déficit en facteur VII
Il s’agit du déficit en facteur de la coagulation le plus fréquent. La symptomatologie hémorragique est hétérogène allant de l’absence de symptômes à de graves hémorragies spontanées. Le taux de facteur VII ne prédit qu’imparfaitement le risque de saignement. Quand il s’avère nécessaire, le traitement consiste en l’administration de facteur VII recombinant ou de concentré en facteur VII.
Déficit en facteur X
La symptomatologie hémorragique dépend du taux de facteur X. Les déficits sévères présentent des complications hémorragiques dès la naissance tels que des saignements au niveau du cordon ombilical ou des hémorragies du système nerveux central. Le traitement habituel est un CCP ou du PFC mais il existe un concentré de facteur IX qui contient du facteur X en quantités connues. Un concentré de facteur X est sur le point d’être commercialisé.
Déficit en facteur XI
Il s’agit d’un déficit rare, cependant sa prévalence peut être élevée chez certaines populations. Il n’y a que très peu de corrélation entre le taux du facteur XI et le risque d’hémorragie; en effet, même des déficits sévères peuvent être asymptomatiques. Les symptômes hémorragiques surviennent principalement dans des tissus avec une activité fibrinolytique augmentée (par exemple, le système urinaire ou la sphère ORL). Les saignements post-opératoires sont fréquents. Le traitement consiste principalement en l’administration d’agents antifibrinolytiques et parfois en l’administration d’un concentré en facteur XI. La substitution en facteur XI doit être effectuée avec précaution car des complications thrombotiques ont été rapportées.
Déficit en facteur XIII
Il s’agit d’un déficit très rare. La symptomatologie hémorragique est sévère avec une survenue fréquente de saignements du cordon ombilical à la naissance et d’hémorragies dans le système nerveux central en cas de déficit majeur. Des problèmes de cicatrisation et de pertes fœtales sont rapportés, comme en cas d’afibrinogénémie. Le traitement (souvent en prophylaxie primaire) consiste en l’administration d’un concentré en facteur XIII.
Déficit combiné des facteurs vitamino-K dépendants
Le déficit combiné des facteurs dépendants de la vitamine K est un déficit très rare dû à une anomalie simultanée des facteurs II, VII, IX et X. Les symptômes sont hétérogènes mais en cas de déficit sévère, il existe un risque augmenté de saignements dès la naissance et d’hémorragies du système nerveux central. Chez certains enfants, ce déficit peut être associé à des anomalies du squelette ou à des pertes auditives. Les patients âgés souffrent essentiellement de saignements cutanés et des muqueuses. Le traitement consiste en l’administration de vitamine K ou éventuellement de CCP contenant les quatre facteurs vitamino-K dépendants.